Tandis que nous escaladons tant bien que mal, avez-vous noté, amis noir et vert, que notre détour par la pampa de Holmberg ne nous a pas vraiment rapprochés de notre but ? Cette petite incursion dans l’Argentine du début du 20è devait constituer une opération blanche, neutre par rapport au déroulement normal de notre quête du tigre du Benghale, une parenthèse qui n’aurait pas laissé de trace. Or, si l’on en croit une cartographie personnelle passablement divergente du planisphère des géographes il est vrai, mais très efficace pour se repérer à coup sûr dans ce territoire-ci, ces montagnes se situent plus loin du Benghale que le champ de betteraves où nous crapahutions il y a 10 pages. Il faut revoir notre stratégie du « à l’est toute ! », tenter un itinéraire qui piquerait vers le sud, via le Moyen-Orient… L’idée est très mauvaise par les temps qui courent, certes… Nous réfléchirons à tout cela après une bonne nuit de sommeil.
Ho hisse ! Nous y sommes…
Ma foi, la lune se dévoile et cette couronne de portail en fer forgé me semble bien familière ; la cour de ce château je la reconnais, la porte aussi, la porte surtout… mais où les ai-je vus auparavant… Il faisait nuit et il pleuvait… -- Allais-tu pieds nus comme ce soir aussi ? -- Non… Je reconnais cette porte mais on ne l’a jamais ouverte pour moi ; un homme chaussé de bottes l’a empruntée un jour, mais je n’y étais pas vraiment, je n’étais pas vraiment là…
Bah, grenouille, tu dois t’en souvenir aussi : tout me revient à présent, la scène entre Raoul de Kerpezdrons et son épouse, tu me l’as montrée toute entière dans ta gorge gonflée.
Allez, s’il te plait grenouille, regarde-nous, mon daemon et moi, te faire les yeux doux, s’il te plait dis-moi oui : laisse-nous entrevoir la vie de ce château, ce soir, puis, promis juré, nous irons dormir.