La grande pièce du rez-de-chaussée avec sa cheminée immense, ses murs de pierre, sa grande table… C’est un soir d’automne comme les autres, M. et Mme Raoul de Kerpezdrons, qui achèvent de diner, se relayent pour déplorer la conduite de leur fille : celle-ci est retournée à sa place familière auprès du feu sans même attendre la fin du repas. Victoire-Victorine prétend avoir froid mais ses parents savent à quoi s’en tenir, « les jeunes, de nos jours, ne respectent plus rien », « il faut dire aussi, très chère, que vous l’avez trop gâtée quand elle était petite et voilà le résultat : ça n’a pas 20 ans et ça n’en fait déjà qu’à sa tête ». Et l’épouse de protester, d’arguer que son éducation fut en tous points irréprochable et que, son caractère retors, l’enfant ne l’a certes pas hérité de la branche maternelle de la famille. Sur ce, l’air pincé, se resservant une part de fromage pour la peine, le mari conclut : « De toute façon, tant pis pour elle : elle sera de corvée de bois ce soir, un point c’est tout. »
Il n’est même pas sûr que V.V. ait entendu la sanction paternelle. Aucun signe ne le laisse penser en tout cas. Elle reste assise dans la cheminée, parfaitement immobile, les bras autour de ses genoux repliés, le visage tourné vers le feu et son regard, saisi par les flammes, semble se consumer en rêveries pour s’échapper là où pointent toutes les flammes, vers le haut, par-dessus les toits, au grand air.
L’inertie de la demoiselle a le don d’agacer le père qui, d’une voix tonnante, la rappelle à l’ordre : « Faut-il que je répète, jeune fille ? » Manifestement non. Victoire-Victorine saute sur ses pieds, enfile ses sabots et fonce vers la porte, ses deux chiens à sa suite.
Elle déboule en trombe dans la cour, un froid glacial la saisit, elle a bien l’intention de se dépêcher de rentrer les bûches pour retourner très vite au coin du feu, mais c’est un beau soir d’automne et, arrivée au milieu de la cour qu’on croirait suspendue dans le vide, elle s’arrête net ; à moitié gelée déjà, elle contemple, conquise, la splendeur de la nuit, l’immensité du ciel.