le 26 octobre 2012


Kari,


Il y a quelque chose qui cloche avec ton prénom planté là, tout seul sur sa ligne, en haut d’une page web... Isolé en adresse de courtoisie, dûment flanqué d’une virgule, il devrait remettre ce cahier dans les clous épistolaires, le désigner sans équivoque pour ce qu’il est : une authentique missive pour toi. Oui mais voilà : il y a un inconnu qui lit ta lettre par-dessus mon épaule.

Que ce curieux personnage demeure virtuel à jamais ou qu’il s’incarne aux petites heures de la nuit en un insomniaque errant sur le web, à vrai dire, on s’en fout : ce torpilleur d’incipit colonise à présent mes brouillons, siphonne sans vergogne le réservoir de mon crayon Bic et me suit comme mon ombre, ta lettre en est toute chamboulée et je reste la plume en l’air sans plus rien oser dire : il a l’air de me surveiller, je ne sais plus du tout comment m’adresser à toi.


Pour que tout rentre dans l’ordre, objecteras-tu, il suffirait de revenir à la traditionnelle missive manuscrite envoyée sous pli postal. Certes, mais comprends que je ne puisse me résoudre à faire ainsi machine arrière : aussi encombrant soit-il, je ne peux plus me passer de cet intrus : pour le dire tout net, c’est un trop bon filon ou, si tu préfères, un compagnon de route tout à fait fascinant, autrement plus fort que mon corbeau car, même si leurs chances de s’incarner dans la vraie vie s’avèrent également minces pour l’un et l’autre, l’internaute égaré déroute l’imagination bien mieux que mon daemon volatile. Au risque de radoter, l’internaute égaré a quand même…

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