C’est pourquoi tu ne dois pas t’étonner, Alain, de voir l’épistolière courir pieds nus après la petite vieille et glisser et trébucher et s’étaler de tout son long dans la gadoue. Ne t’inquiète pas pour elle (si tant est que te vienne une idée aussi saugrenue), la route est longue jusqu’au Benghale, la corne aura le temps d’endurcir ses pieds. En attendant, qu’est-ce que tu me manques…]


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A défaut de rien apporter d’intéressant à l’histoire comme stipulé dans le précieux « Lexique », les crochets enserrant du baratin en italiques auront empêché quiconque de voir monter à l’horizon une promesse de soleil et de ciel bleu ou les nuages noirs filer à toute vitesse loin vers l’ouest. Si quelques gouttes de pluie tombent encore, le gros de l’averse est passé, l’eau fait des perles sur les feuilles de betteraves et certaines, dérangées par la marche de deux improbables voyageuses, l’une solide mais voutée et vieille, l’autre trottant derrière pieds nus, explosent.

Les feuilles de betteraves ont désormais tellement poussé qu’elles montent jusqu’aux épaules des marcheuses. Vues du ciel, on prendrait ces deux-là pour des nageuses de crawl à moitié noyées dans une mer végétale qui ondule sous la bise. L’une des deux disparait de temps en temps sous les feuilles, mais très vite sa tête resurgit à la surface et, avec de grands gestes des bras, elle rejoint en toute hâte l’Aïeule qui progresse à une folle cadence. Celle-ci sait exactement où elle va, elle se dirige vers un champ de blé qu’on aperçoit au loin, chaleureux, blond comme la plage dorée par le soleil d’une mer immensément verte. L’autre la suit tant bien que mal,

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