Et en un instant, moi qui prenais le frais au balcon des Kerpezdrons, me voilà juchée sur l’épaule du chef des géants. Un dernier coup d’oeil jeté en arrière, me donne à voir Raoul de Kerpezdrons agrippé des deux mains au rebord de la fenêtre de sa chambre, la bouche grande ouverte, le bonnet de nuit à moitié de travers, cherchant à tâtons son lorgnon… A peine un regard et les montagnes escarpées, leur folklore neigeux, sont déjà hors de vue.

J’aime comme cette randonnée devient facile et agréable. Qu’il est bon de se laisser porter ! En plus, sur son épaule, le chef des géants a déposé à mon intention un moelleux petit coussin d’herbe verte parsemé de coquelicots. Et puis on file comme le vent ! Même mon daemon, d’ordinaire si casse-pieds, si taciturne, joue – il joue ! – à « plumes contre vent » (il fait comme si ses ailes étaient des voiles de bateau, les volatiles ont de ces jeux…). Oh oui, qu’il est bon de se laisser emporter dans le ciel, au-dessus des montagnes et des vallées, des mers et des déserts, comme sur un tapis volant.


Pour respecter l’équilibre général de l’ensemble, le dénouement de cette missive ne devrait pas être précipité ici, à pas de géant, mais précédé de moult aventures plus épiques les unes que les autres sur la route du Benghale. On y croiserait des créatures étonnantes ; on y pourrait furtivement admirer un dessin de tigre, parce que Lise est tellement adorable qu’elle accepterait de dessiner encore pour moi au besoin ; on y apprendrait de nouvelles anecdotes sur la lignée des Sirdon, au cas où Augustin, égaré on ne sait où, ressurgissait ici un jour, en quête de précisions sur son histoire familiale. Peut-être serait-il curieux d’en savoir un peu plus sur Mopsel et Maryvonne, qui sait, deux Sirdon, deux vieilles parentes éloignées qu’enfants, ma sœur et moi nous amusions à imiter. Nous les voyions souvent, elles nous faisaient rire : Mopsel, une vieille complètement gâteuse, devenue millionnaire sur le

  <   * Supplie, demande pardon, verse une larme au besoin ! >