j’espère qu’il saura trouver son chemin jusqu’à toi à travers les limbes du temps et j’espère qu’il te plaira.
Puisque la monotonie de ces champs de betteraves n’offre rien de plus passionnant à observer qu’un vol d’oies sauvages qui s’éternisent dans le ciel, laisse-moi te raconter ta légende familiale, qui est aussi la mienne, la légende des Sirdon qui fait de toi, sans l’ombre d’un doute, le plus désiré, le plus rêvé, le plus attendu de tous les enfants jamais nés.
Laisse-moi, avant tout, te raconter comment ta mère hérita de ce désastreux prénom : Drucilla.
Sur l’insistance de ton grand-père maternel qui ne voulut pas en démordre, ta mère fut prénommée ainsi en hommage à une certaine Drucilla Van Heim, vieille fille de la lignée des Sirdon qui passa sa vie à écrire d’invraisemblables histoires à l’eau de rose.
Elle, dont rien n’indique qu’elle connut un beau ténébreux au cheveu noir et à l’œil bleu, le séduisit et fut séduite par lui au moins mille fois entre les pages enflammées de ses romans et de mille manières différentes à chaque fois. Qu’il apparaisse sous les traits d’un aristocrate, d’un jeune flambeur de casino, d’un tueur à gages ou même d’un loup-garou, son amant imaginaire était toujours ce même beau brun aux yeux clairs et à la voix profonde. Sous un titre ou sous un autre imprimé sur couverture rose, il manquait de la perdre pour mieux la retrouver, elle connaissait les brûlures d’une jalousie forcément dévorante qui s’avérait, par la suite, heureusement infondée ; leur amour devait surmonter les obstacles les plus divers mais toujours leurs nuits étaient torrides et l’histoire finissait bien : ils vieillissaient ensemble, heureux et amoureux pour toujours. En bref : sous les dehors les plus variés, elle écrivait toujours la même chose, ce qui, en soi, n’a rien de surprenant tant il est vrai que, passé un certain âge, sauf accident ou crise aigüe de la quarantaine, on creuse toujours le même sillon. [Je m’étonne et